L'histoire du Royaume de Borea n'est pas bien ancienne. Elle a débuté il y a un peu moins de trois siècles, lorsque les premiers colons accostèrent au Sud-Ouest du continent qui deviendra plus tard la nation boréenne.
Ces gens avaient fuit leurs terres natales, devant l'avancée de hordes d'envahisseurs nomades qui avaient déferlé sur la Slovarie, devenue depuis pour eux une terre mythique synonyme d'abondance, et d'un âge d'or perdu. Le cours de la guerre échappa vite à ces exilés, menés par un prince, qui une fois débarqué s'autoproclama Tsar de Borea et fonda la ville de Lizitche qui allait devenir la capitale du royaume, érigée dans l'Ouest des nouvelles terres.

Face à la dévastation de cette guerre qui ravageait la Slovarie, des milliers de personnes s'étaient ruées sur la côte dans l'espoir de fuir, mais c'est à peine le dixième des réfugiés qui parvinrent à s'embarquer pour l'inconnu, avant d'être rejoints par les envahisseurs nomades, et massacrés en grand nombre.
Pour ceux qui étaient partis, c'était donc un voyage sans retour, et sans véritable espoir de revenir au vu de l'anéantissement de leur patrie.
Le hasard, les courants et les vents, avaient mené les navires du Prince Fiodor Nokarev vers une terre au septentrion, à plus de trois semaines des côtes slovariennes. En accostant, et croyant cette terre déserte, le prince en exil avait vite compris l'impasse dans laquelle il se trouvait avec son peuple.
La ville de Lizitche fut donc érigée pour devenir l'avant-poste de la colonisation des terres qu'il revendiquait à présent au nom du Royaume de Borea dont il était le nouveau tsar.

En ce temps-là, les colons boréens n'étaient que quelques dizaines de milliers tout au plus, et les terres sur lesquelles ils étaient en train de bâtir leur nouveau royaume étaient alors des plaines fertiles, s'étendant à perte de vue, et les sujets du Tsar Fiodor purent s'établir et prospérer, avançant peu à peu vers le Nord et vers l'Est alors que Lizitche prenait les belles allures d'une véritable capitale. L'édification de la ville, correspondant à la date du couronnement du tsar, avait marqué l'an 1 du calendrier boréen.

Une réforme religieuse eut lieu à la même période, les Boréens abandonnant les anciens dieux slovariens pour un dieu unique, le Sauveur, selon une doctrine prêchée par un prédicateur proche du Tsar Fiodor, nommé Athanase, et qui deviendra le premier Patriarche de Lizitche, et chef de l'Ecclesia Boréenne.
Si ce culte se répandit fort bien et très vite à Lizitche, ce ne fut pas le cas dans les sitchs les plus reculées, où les paysans étaient attachés à leurs anciennes croyances.

En 52, le petit fils du Tsar Fiodor Ier, entreprit de circonscrire l'ancienne religion pour peu à peu l'éradiquer. Les popes se multiplièrent et sillonnèrent le pays pour convertir les sujets du jeune Tsar Youri, n'hésitant pas à employer tous les moyens à leur disposition pour y parvenir, y compris la force armée.
Une campagne de terreur démarra ainsi dans le courant de l'année 54, et elle culmina en 57 avec la destruction de plusieurs sitchs et plusieurs massacres suffisamment importants pour marquer durablement les esprits.
En 65, le Royaume de Borea était officiellement uni sous la même foi, et sous l'autorité incontestée du tsar.

Après quelques années de paix relative, c'est en 71 que des colons boréens, s'éloignant des côtes pour pénétrer plus avant dans les terres, entrèrent dans des régions jusque-là inexplorées, la colonisation s'étant surtout faite le long du littoral. C'est ainsi que les Boréens découvrirent une peuplade autochtone, et apparemment pacifique, les Yarvots, des éleveurs de rennes semi-nomades, vivant en petites communautés villageoises.
Ces gens, alors bienveillants au point d'en être parfois un peu naïfs, se mirent à commercer avec les Boréens, en laissant ceux-ci s'installer un peu où ils le voulaient tant qu'ils ne débordaient pas sur leurs terres sacrées. Bien souvent, il s'agissait d'une montagne, d'un lac, ou d'une forêt, ce qui rendait la chose assez anecdotique au final.
Les Yarvots constitue un peuple animiste, croyant en une multitude d'esprits, parfois très locaux, comme l'esprit protecteur d'un arbre sacré, ou d'une montagne. Il peut aussi s'agir d'un démon terrible. Leur panthéon complexe et infini est chapeauté par un esprit suprême, le loup céleste Tiangrin.

Bien souvent, les Yarvots aidèrent les Boréens à avancer dans les terres sauvages, ne les limitant plus vraiment à l'occupation des côtes. La cohabitation semblait alors possible, et beaucoup de Yarvots se sédentarisèrent aux côtés des colons, allant jusqu'à adopter leurs us-et-coutumes, et parfois même leurs croyances. Des communautés entières se métissèrent durant les premières années, vivant en bonne harmonie, et se fusionnant au point de ne plus savoir qui était vraiment boréen ou yarvot.

Mais tout bascula en 96, sous la huitième année du règne du Tsar Fiodor III avec un évènement qui allait marquer l'histoire, la terre et les hommes à jamais, resté dans les mémoires et dans le ciel.


Depuis des décennies, les astronomes regardaient le ciel, et voyaient le soleil le jour, ainsi qu'une lune et des étoiles une fois la nuit venue. Mais ils voyaient aussi un corps céleste qui semblait se mouvoir à travers le ciel nocturne, et en 96 de l'ère boréenne, la lune reçut une sœur. Un nouvel astre se figea dans le ciel, provoquant des bouleversements sans précédent, ainsi qu'un changement des cycles de l'océan.

Plusieurs raz-de-marée meurtriers balayèrent les côtes, n'épargnant pas le jeune Royaume de Borea, qui eut à déplorer des pertes sévères. Mais le pire était encore à venir. La contrée, jusqu'alors baignée de soleil et bénéficiant d'un climat tempéré, se retrouva plongée dans de longs et terribles hivers, d'une rigueur extrême. Le soleil ne semblait revenir que trois ou quatre mois par an, durant une belle saison à peine assez longue pour cultiver un peu les terres avant de les voir ensevelies de nouveau sous les neiges. Des régions entières, les plus au Nord, elles, ne dégelaient plus. Le Royaume de Borea connut en 98 sa première Longue Nuit, une nuit polaire de plusieurs mois, durant laquelle le soleil ne semblait plus vouloir se lever. La suite montra que ce ne serait hélas pas la dernière, celle-ci revenant année après année.

Dans cette situation aussi inédite que catastrophique, la survie devint terriblement plus difficile. Mais ce n'était pas encore assez... Des créatures, que l'on croyait légendaires, firent leur retour, ou apparurent, cela nul ne le sait réellement, sillonnant de nouveau le sol gelé de Borea.
Des sorcières séculaires s'établirent dans des lieux isolés, fascinant autant qu'elles terrifiaient leur voisinage. Des créatures effrayantes se mirent à hanter les mares, les forêts, parfois même jusqu'au recoin des maisons.
Si l'on parlait autrefois de magie comme s'il s'agissait d'un conte de fée, à présent, chacun pouvait la voir à l'œuvre sous ses yeux.

En ces temps difficiles, ceux qui avaient encore la foi vacillèrent. L'Ecclesia accusa les païens yarvots d'être la cause de ce châtiment divin, et à l'inverse, les Yarvots désignèrent les popes comme responsables du désastre, les accusant d'avoir excédé les esprits en propageant une fausse religion. La belle unité ne tarda pas à se fissurer. Pire encore, certains boréens, attentifs aux dires des Yarvots, et constatant l'impuissance de leur Ecclesia, s'en retournèrent vers les anciens dieux slovariens qu'ils avaient délaissés.

Si la querelle n'avait été que religieuse, les choses auraient pu en rester là. Mais ce ne fut aucunement le cas. La civilisation boréenne vacillait sur ses bases, et le pouvoir du tsar, incapable de remédier à la crise fut remis en question de toute part. Poussés par la faim, le froid, et le désespoir, les gens se soulevèrent, et plusieurs rébellions éclatèrent, jusqu'au cœur de la capitale, à Lizitche.
Dans le même temps, les paisibles Yarvots, jusque-là amicaux, devinrent par la force des choses un peuple belliqueux, défendant ses troupeaux de rennes des prédateurs, mais aussi de la rapacité des Boréens affamés.
S'adaptant mieux et beaucoup plus vite, les Yarvots se mirent à harceler les avant-postes boréens, et à attaquer les caravanes marchandes pour les dépouiller. La fraternité d'antan n'était plus qu'un lointain souvenir. Le cauchemar des Boréens prit bien vite la forme d'un essaim de traîneaux yarvots, tirés par des rennes, fondant sur les villages et les voyageurs sans protection pour les détrousser.

Il fallut des décennies avant que les choses ne se calment en Borea. En réalité, elles ne se calmèrent que par la distance que chacun mit avec l'autre. Les Yarvots s'étaient retirés à l'intérieur des terres, et plus au Nord, alors que les Boréens occupaient les zones proches du littoral, et essentiellement le Sud.
Entre les deux? Plus rien, sinon des villages brûlés par les farouches guerriers yarvots, ou des camps dévastés par les troupes du tsar, qui peu à peu, au prix d'innombrables efforts et de tout autant de batailles, reprenaient un semblant de contrôle sur le pays.

Au fil des années, la population recommença péniblement à croître, et les colonisations reprirent, ici ou là, les gens se fiant à leurs boyards, des nobles locaux, qui administraient et protégeaient leurs sitchs, des villages faits de bois, souvent protégés sommairement par une palissade de rondins, mais jamais de pierre, son travail étant rendu tout bonnement impossible par la neige.
Le pouvoir du tsar sembla de plus en plus lointain. Mais de temps à autre, un ataman du tsar s'en venait encore avec une troupe de cavaliers, repoussant un danger, ou punissant un boyard ayant un peu trop affiché sa défiance à l'égard de Lizitche. En un mot, la vie reprit simplement son cours.


Le printemps de l'année 265 débute à peine. Lizitche est toujours debout, et c'est le Tsar Ivan IV Nokarev qui dirige le Royaume de Borea. Le pays demeure relativement coupé du monde, la moindre côte étrangère se trouvant à des semaines de là. Approcher le royaume est tout particulièrement dangereux depuis la mer. Les navires doivent affronter les redoutables tempêtes hivernales la majeure partie de l'année, et parfois même la banquise. Certains parlent même de monstres marins, engloutissant des navires tout entiers avec leurs équipages.
Quand bien même un navire passerait, le monde est devenu particulièrement hostile et inamical. A Borea, où l'hiver entraîne son lot de privations chaque année, nul n'a envie de partager, ou de s'encombrer de bouches inutiles. A l'inverse, Borea passe au dehors pour une terre maudite entre tous, et nul ne vient plus s'y aventurer. Dans l'ancienne Slovarie, les nouveaux occupants pourchassent même les rares voyageurs boréens, jugeant qu'ils portent malheur.

Entre Boréens et Yarvots, une paix relative est revenue, mais c'est loin d'être la norme partout. Si parfois certaines tribus viennent commercer dans une sitch boréenne, ou qu'un trappeur s'aventure dans un camp saisonnier pour y commercer, il n'est pas rare que l'un ou l'autre des deux peuples ne lance un raid sur ses voisins pour s'accaparer la moindre ressource.

Les étés, qui ne durent que quatre mois tout au plus, sont devenus caniculaires. Le travail de la terre, nécessaire à la survie, devient très vite harassant. On pourrait croire que c'est une période de répit pour tous. Pourtant, c'est loin d'être le cas. Avec la fonte des neiges, qu'elle soit totale ou partielle, les mouvements à travers les terres se trouvent facilités, et c'est généralement durant cette saison que les raids se multiplient, entre Boréens et Yarvots, mais pas seulement. Il n'est pas rare qu'un boyar décide d'attaquer une sitch voisine pour faire main basse sur ses précieuses moissons, ou pour ramener des serfs, devenus une main d'œuvre absolument indispensable.

Lorsque les beaux jours s'achèvent, l'hiver s'en revient toujours, annoncé par plusieurs semaines de pluies diluviennes. Malheur alors à celui qui n'a pas récolté son blé, qui dès lors pourrit sur pied. De même, demeurer aux abords d'une rivière revient à voir son logis emporté par les flots en crue. Les chemins se changent en d'indescriptibles bourbiers, et les maladies trouvent un terrain idéal pour se propager.

Puis c'est le grand retour de l'hiver, l'Eternel Hiver, qui amène dans le ciel de grands nuages gris, et une brume épaisse. Et très vite, le sol gèle avant de se couvrir d'un épais manteau de neige immaculée. La nature se rendort, alors que les jours raccourcissent, jusqu'à ce que le soleil ne fasse plus que de brèves apparitions dans le ciel. Puis enfin, la Longue Nuit s'en vient, annonçant le cœur de l'hiver, plongeant le Royaume de Borea dans l'obscurité pour de longs mois.

C'est cela, l'Eternel Hiver.